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Déc 9, 2016
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Décryptage : la place des algorithmes et de l’AI dans la musique et l’art en général

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Décryptage : la place des algorithmes et de l’AI dans la musique et l’art en général

1 décembre 2016

À l’occasion de la Digital Tech Conference, la grande conférence tech de l’Ouest qui aura lieu demain à l’Opéra de Rennes, nous avons pu échanger avec François Pachet, Directeur du laboratoire Sony CSL. Ses recherches ont été particulièrement remarquées en septembre dernier quand lui et son équipe ont mis en ligne une chanson des Beatles entièrement composée par un algorithme. Une imitation parfaite totalement saisissante. Nous avons cherché à en savoir plus sur la place que prendront les machines, les IA, et les algorithmes dans les processus de création. Le regard du chercheur sur ces nouvelles synergies entre artistes et algorithmes est passionnant. Ces nouveaux outils ne vont pas remplacer les artistes, mais bien les aider à trouver de nouvelles façons de créer.

Pouvez-vous vous présenter et nous en dire plus sur vos missions dans le laboratoire Sony CSL ?

Je suis directeur du laboratoire Sony CSL, un laboratoire d’informatique appartenant à Sony et qui fait de la recherche fondamentale. La recherche n’est donc pas dirigée par les produits de consommation Sony. Nous travaillons sur de thèmes variés : musique, langage, agriculture, économie, recherche sur la cancer…

Vous avez lancé un algorithme capable de composer à la manière des Beatles. Comment fonctionne un tel programme ?

C’est un algorithme de Machine Learning, nous lui donnons des exemples, ici des partitions (13 000 chansons). L’algorithme est capable d’analyser ces chansons et de trouver des régularités, puis de faire du sampling pour générer une nouvelle chanson. Nous arrivons donc à créer de nouvelles partitions, mais aussi de nouvelles orchestrations. Nous avons une autre base de données sur des fichiers audio d’accompagnement musical, le système est capable de générer un accompagnement ou une orchestration pour une partition.

Quels sont les champs d’application concrets de l’AI dans la musique pour les artistes et les musiciens ?

Il y a de la recherche en IA dans la musique depuis 1958 (sur Bach), c’est n’est donc pas quelque chose de nouveau ! Les nouveaux algorithmes que nous développons sont en fait des outils d’aide à la composition. Ils peuvent être utilisé en mode autonome, mais ce n’est pas une fin en soi. Ce qui est intéressant, c’est quand un artiste les utilise, les guide, les paramètre, les oriente…

Avec ces outils, on va aussi pouvoir créer des musiques nouvelles et innovantes. Il n’y a jamais eu autant de musique créée qu’aujourd’hui, mais la musique est aussi très conventionnelle, et très calibrée, du moins pour ce qui concerne la musique mainstream. C’est une musique très imitative.

Avec ces nouvelles techniques et ces nouveaux outils, on peut créer des choses nouvelles, notamment au niveau mélodique (une dimension qui a quasiment disparu du songwritting moderne), au niveau harmonique, au niveau du timbre, et au niveau de la production et du mixage. On a beaucoup parlé de la chanson des Beatles qui est très imitative, mais ces technologies peuvent aussi être utilisées pour créer des choses très nouvelles. C’est pour cela que nous travaillons beaucoup avec de vrais artistes qui utilisent l’outil pour aller plus loin dans la création.

Est-ce qu’on peut imaginer des artistes virtuels autonomes purement algorithmiques ?

Pour l’instant, nous n’y sommes pas encore. Il manque encore des ingrédients pour qu’un système fabrique de manière autonome des choses complètes et intéressantes. Les algorithmes n’ont ni intentionnalité, ni envie. Ils ne font que ce qu’on leur dit de faire. Ils n’ont aucune idée de ce qui plaît et de ce qui ne plaît pas.

La machine n’est pas encore capable de savoir si une musique est « bonne ou mauvaise ». Mais c’est un sujet très important sur lequel il y a de nombreuses recherches. Comprendre les retours utilisateurs, et apprendre de ces retours (Feedback Learning) est un enjeu important. On peut donc imaginer des systèmes autonomes à court terme, mais rien ne dit qu’ils créeront des choses intéressantes.

Comment réagissent les artistes à ces outils ? Est-ce qu’on est dans un conflit anciens / modernes entre ceux qui veulent travailleur avec, et ceux qui les rejettent ?

Il y a une résistance de fond qui est très française et qui est due, selon les analyses de Frédéric Kaplan, à notre éducation et héritage Rousseauiste. On nous enseigne qu’il y a une vraie dichotomie entre la nature et la culture, avec l’idée que l’homme bon est l’homme de la nature. On est imprégné de cette pensée, alors que cette distinction n’a absolument aucun sens dans certaines cultures (Japon et USA notamment).

Quand on est persuadé que tout ce qui n’est pas naturel est par essence suspect, cela pose des freins dans la vision des technologies. Je pense néanmoins que ce biais est peu à peu en train de disparaître avec les jeunes générations. Mais c’est un biais bien présent, certaines recherches ont montré que si on fait écouter de la musique à des gens en leur proposant de la musique composée par un être humain et par un ordinateur, ils préfèrent la musique faite par un humain. Y compris quand c’est faux, et qu’elle est en fait composée par une machine. Il y a un vrai biais cognitif.

Est-ce que ces algorithmes de création peuvent s’appliquer à d’autres champs artistiques (littérature, peinture…) ?

Il y a tout un courant de Creative AI qui consiste à essayer d’utiliser ces technologies dans la création. Il y a beaucoup d’applications sur les images, la vidéo ou la littérature. C’est utilisé et sera utilisé dans tous les domaines de génération de contenu créatif. Le public est de plus en plus prêt. Au Japon il y a eu une chanteuse numéro 1 dans les charts, Hatsune Miku, qui est totalement virtuelle et dont la voix est une voix de synthèse.

Il faut voir ces évolutions comme de nouveaux outils qui vont aider les artistes, et non les remplacer. Dans les années 80 quand les échantillonneurs numériques sont arrivés, certains affirmaient qu’ils sonnerait la fin des musiciens. C’était évidemment faux, et il s’est passé le contraire, avec une explosion de la production de musique.

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